Ce n’est pas fun !

Des remarques en forme de contresens

Voici trois remarques convergentes sur lesquelles il me faut apporter des précisions :

  • L’un de mes amis me met régulièrement dans l’embarras lorsqu’il dit à qui veut l’entendre que je suis un expert réputé en « amusement » (fun) dans la formation pour adultes.
  • Des participants à mes ateliers racontent ensuite avec enthousiasme combien ils se sont « amusés » pendant ces ateliers.
  • Des personnes qui utilisent mes jeux m’envoient des courriers électroniques pour me raconter tout « l’amusement » qu’elles ont eu à les utiliser.

Toutes ces personnes se trompent. Elles n’ont rien compris à mon approche. En voici la preuve :

  • Dans l’un de mes ateliers, tous les participants – des hommes comme des femmes – ont pleuré. Le thème de cet atelier était la mort et l’accompagnement des mourants, et j’ai commencé par mettre en place un jeu de simulation dans lequel chaque participant devait s’imaginer malade en phase terminale. Ce n’était certainement pas l’un des icebreakers « amusants » que vous utilisez régulièrement.
  • Dans un autre atelier, sur le thème de la communication interculturelle, j’ai proposé un exercice de visualisation guidée dans lequel chaque personne a d’abord fait une liste de ses réalisations personnelles, puis les a réexaminées comme si elle était une personne du sexe opposé, d’une nationalité différente et d’une orientation sexuelle différente. Aucun des participants ne s’est « amusé », plusieurs ont été visiblement touchés et très émus.
  • Dans le même atelier, j’ai lu une histoire racontant la mort de ma mère quand j’avais sept ans. La plupart des participants étaient ensuite trop tristes pour participer à la discussion de débriefing.

Larmes, rires et apprentissage

Dans mes sessions de formation, je fais toujours en sorte d’aider les participants à maîtriser de nouvelles compétences et de nouvelles connaissances, et à être capable de les appliquer dans leur vie quotidienne.

Pour atteindre cet objectif, je me sers de la loi de « l’apprentissage émotionnel », qui stipule que ce qui est relié à des émotions est appris de manière plus efficace et avec une meilleure mémorisation à long terme. Cette loi souligne que les gens apprennent mieux lorsqu’ils sont heureux ou tristes, et qu’ils n’apprennent pas lorsqu’ils sont apathiques ou qu’ils s’ennuient.

Mon bagage culturel

Je viens d’une culture dans laquelle perdre la face est une catastrophe majeure. Cela me rend extrêmement sensible aux participants qui se sentent mal à l’aise ou embarrassés par ce qu’on leur demande de faire. Je n’ai pas besoin – ou le courage – de demander à mes participants de faire des bruits d’animaux, de chanter une chanson sur la « satisfaction client » ou d’enlever leur chemise. Je n’utilise pas d’activités de formation absurdes, stupides, où l’on doit faire le clown ou l’imbécile, uniquement dans le but d’amuser les participants.

Une question de pertinence

J’utilise différents types de jeux de formation : des simulations, des jeux de rôle, des improvisations, des quiz, des puzzles, des histoires et de nombreuses autres stratégies interactives. Mais toutes ces activités ont un lien clair et direct avec les objectifs pédagogiques de la formation. J’utilise un jeu d’instruction uniquement lorsque c’est la technique la plus efficace pour atteindre l’ensemble des objectifs opérationnels fixés. En outre, je passe un temps important à briefer les participants avant le jeu et à les débriefer après le jeu, afin de m’assurer qu’ils voient clairement la relation entre l’activité proposée et ce dont ils ont besoin dans la vie réelle.

C’est un engagement

L’un de mes objectifs en matière de formation est que tous les participants soient impliqués dans l’activité d’apprentissage. J’y arrive en équilibrant le niveau de difficulté de la tâche d’apprentissage avec le niveau de compétence des participants. Si la difficulté de la tâche d’apprentissage est au-delà des compétences des participants, ils seront frustrés. Si le niveau de difficulté est en dessous de leurs compétences, ils vont s’ennuyer. Lorsque le niveau de difficulté est bien adapté à celui de leurs compétences, les participants sont alors dans un état de « super-fluidité » tel que le définit Mihaly Csikszentmihalyi. Dans cet état, ils éprouvent du plaisir dans la difficulté, ce qui est bien différent du plaisir superficiel créé par des niaiseries ou des pitreries.

L’un des aspects les plus fascinants de l’e-learning, c’est la capacité des programmes informatiques à prendre en compte en permanence la performance du joueur, et de faire en temps réel les changements appropriés dans le niveau de difficulté. L’une des raisons pour lesquelles j’utilise des jeux de formation dans mes sessions en présentiel, c’est que je peux en permanence ajuster l’activité pour maintenir le niveau d’implication des participants à leur niveau optimal.

Jouer sérieusement

L’une de mes règles de vie est de prendre les choses sérieuses avec amusement (une autre est de prendre les choses amusantes avec sérieux). Cette attitude déteint dans mes sessions de formation, dans lesquelles j’encourage les participants à retrouver une enfantine naïveté, de l’espièglerie et la capacité à se moquer des rois imbus d’eux-mêmes qui se promènent nus1.

Souvent, je pousse les participants à casser les règles que je leur ai moi-même enseignées, pour essayer d’atteindre les résultats souhaités de manières différentes. Cette démarche, commune chez l’enfant, m’aide à développer ma pensée créative et entretient chez moi un sain scepticisme sur toutes les procédures routinières et habituelles.

Travailler ou jouer ?

Les membres de ma famille et mes proches collaborateurs pensent que je ne m’amuse jamais. Ils m’accusent d’être grognon, ennuyeux, routinier, de vivre en reclus, sans boire, ni chanter ni participer à des fêtes. Et cela uniquement parce que la dernière fois où j’ai pris des vacances, c’était en 1945 et parce que je vais me coucher juste après avoir regardé La Roue de la fortune à 19 h 30. Ils pensent que je suis un grincheux et un bourreau de travail. Ils ont probablement raison dans leur évaluation de ma personnalité, sauf en ce qui concerne mon travail. Je ne suis certainement pas un bourreau de travail : comme vous pouvez le voir, je n’ai pas travaillé un seul jour de ma vie !

1 Référence au conte d’Andersen Les habits neufs de l’empereur.