« Faster, cheaper, better »

Un résultat paradoxal

Les concepteurs de formation soutiennent volontiers l’affirmation suivante : on peut concevoir des formations plus rapides et moins chères, mais au détriment de la qualité.

Durant plus de trente ans passés à concevoir des formations, il m’est apparu une réalité différente : il est possible d’avoir les trois composantes (faster, cheaper and better : plus rapide, moins chère et de meilleure qualité) en utilisant des stratégies non conventionnelles. Et mes collègues qui ont intégré ces stratégies dans leur pratique professionnelle sont d’accord avec moi : nous avons tous le sentiment que plus rapide, moins chère et de meilleure qualité sont trois composantes qui sont fortement liées l’une à l’autre lorsque l’on conçoit une formation.

Il y a un lien évident entre plus rapide et moins chère : puisque l’essentiel du coût de la conception pédagogique est directement lié au temps passé par le concepteur et les experts, une formation plus rapide se révèle forcément être également moins chère. Mais le lien entre plus rapide et de meilleure qualité semble être contradictoire. Est-ce que plus rapide n’est généralement pas associé à rogner sur les coûts à tous les niveaux ? Pourtant, sur le terrain, on s’aperçoit qu’une conception plus rapide donne de meilleurs résultats pédagogiques (résultats mesurés par l’amélioration de la performance des apprenants et par le niveau de satisfaction).

Nous sommes encore à essayer d’expliquer ce résultat paradoxal. À l’heure actuelle, voici quelques conjectures :

  • Lorsque vous travaillez plus vite, vous vous limitez aux connaissances, aux compétences et aux concepts absolument essentiels. Vous n’avez pas de temps à perdre à transmettre du superflu.
  • Lorsque vous travaillez plus vite, vous transférez plus de responsabilités à l’apprenant. Ainsi l’apprenant est actif et passe plus de temps à donner un sens à ce qui est enseigné, plutôt qu’à écouter passivement ce que vous racontez ou à lire du contenu.

Exemples de mise en œuvre

Les stratégies que nous utilisons pour produire des formations plus rapides, moins chères et de meilleure qualité ne forment pas un cadre rigide de procédures à suivre, mais s’appuient sur une série de principes destinés à être appliqués avec souplesse dans chaque contexte de formation. Avant d’énoncer ces principes, jetons un coup d’œil sur quelques exemples de formations que nous avons conçues, exemples qui nous ont permis de formaliser ces principes.

Création de bases de données. L’objectif de cette formation était d’utiliser un logiciel propriétaire pour créer des bases de données ayant des champs et des fonctions spécifiques. Nous avons commencé la conception de cette formation en concevant d’abord le test final qui permettrait de juger des performances acquises par les participants : On vous donne un dossier contenant 20 dossiers ; vous devez créer une base de données avec un ensemble de champs obligatoires et remplir cette base de données avec des informations provenant des différents dossiers ; vous réussissez le test si vous pouvez fournir un rapport résumant l’ensemble des données dans un format spécifié. (En fait, nous avons créé six versions différentes de ce test de performance, chacune avec des ensembles différents d’informations et de spécifications.)

Au cours de la session de formation, les participants, répartis en équipes, ont eu accès à des manuels de référence et à des démonstrations filmées des étapes permettant de concevoir des bases de données. Chaque équipe a également eu 45 minutes de coaching ciblé par un expert. On a autorisé les équipes à passer deux fois le test de performance pour s’entraîner. Chaque test était différent, et le « vrai » test final fut proposé ensuite individuellement aux participants.

Programmation informatique. L’objectif de cette formation était d’apprendre aux participants à écrire un programme Java simple. Pour concevoir ce programme de formation, nous avons utilisé une version modifiée de la méthode « programmation extrême » empruntée à l’ingénierie informatique. Un concepteur de matériel pédagogique (CMP) et un expert en la matière (EM) se sont partagé un seul ordinateur. Le CMP a posé une série de questions (telles que « Que serai-je exactement capable de faire à la fin de cette session de formation ? ») et a utilisé les réponses de l’EM pour créer du matériel pédagogique. L’EM et le CMP se sont relayés au clavier pour écrire et revoir le matériel pédagogique. Ils ont continué leur travail interactif jusqu’à ce qu’ils soient satisfaits du résultat. Puis ils sont allés chercher dans la salle d’attente un représentant des futurs apprenants, qui attendait patiemment en feuilletant des magazines people. Ce représentant a testé le matériel didactique, l’a utilisé et a réalisé chacun des exercices, en pensant à haute voix lorsqu’il était coincé. Quand cela arrivait, le CMP ou l’EM se mettait au clavier et apportait les modifications appropriées, testées aussitôt par le représentant des apprenants.

À la fin de ce travail de test, le CMP fit un débriefing avec l’apprenant (avec des questions telles que : « Quel était le concept le plus difficile à assimiler ? ») et a apporté aussitôt les modifications nécessaires en fonction de ses commentaires. Le CMP et l’EM ont renvoyé le représentant des apprenants en salle d’attente et ont continué à travailler sur la partie suivante de la formation.

Nouveau process. L’objectif de cette formation était de créer une nouvelle procédure pour transformer les données connues du marché en un nouveau produit, grâce à un process partant de la spécification d’ingénierie pour se terminer par le produit final, via des ébauches, des prototypes et des versions bêta.

Bien que les manuels techniques puissent fournir les éléments, détaillés à l’extrême, de chaque étape de cette nouvelle procédure, nous avons décidé de procéder à une séance d’information en face à face avec des groupes de 30 participants.

La séance a commencé avec un panel de 4 experts, chacun devant faire une présentation en 99 secondes de ce qu’ils considéraient être l’élément le plus important de la nouvelle procédure. Ensuite, les participants ont été répartis en 5 équipes de 6 membres chacune, et on leur a demandé de rédiger leurs premières interrogations.

Après 5 minutes, les équipes (à tour de rôle) ont posé leurs questions. À chaque question, c’est un membre différent du panel d’experts qui répondait, et les trois autres fournissaient ensuite des détails supplémentaires si nécessaire. Les équipes avaient choisi des questions vraiment importantes, avaient évité les questions en double, et elles prirent de nombreuses notes.

Au bout de 30 minutes de cette sorte de « conférence de presse », chaque membre du panel d’experts a fait une nouvelle intervention de 99 secondes pour aborder les éléments essentiels qui n’avaient pas été traités lors des questions et des réponses.

Chaque équipe a ensuite eu 10 minutes pour résumer les points clés de la nouvelle procédure, en se limitant à une seule page de tableau de papier. Pour terminer, les posters créés ont été affichés au mur, et tous les participants ont pu prendre connaissance et juger du travail réalisé par les autres équipes, en répartissant 100 points entre les différentes posters (autres que le leur), selon l’utilité qu’ils y trouvaient pour décrire et expliquer le processus.

Lettres de vente. L’objectif de cette formation était d’écrire des lettres pour la vente en direct. Nous avons commencé la conception de cette formation en construisant le test final de performance :

Vous devez écrire une lettre de vente pour un produit existant dans le catalogue de l’entreprise, et l’envoyer à 100 personnes choisies au hasard dans l’annuaire interne de l’entreprise ; le test est réussi si 5 personnes ou plus ayant reçu votre lettre de vente ont passé commande.

Nous avons rapidement conçu les autres composantes de la boîte à outils de la formation et nous les avons incluses dans un livret pratique : une check-list pour l’écriture de lettres de vente efficaces et un recueil commenté des dix meilleures lettres de vente de l’année écoulée. Nous nous sommes assuré de la cohérence de toutes les ressources utilisées.

Au cours de la session de formation proprement dite, les équipes participantes ont créé des lettres de vente pour un produit spécifique en utilisant ces ressources et en demandant conseil au formateur. La lettre de vente créée par chacune des différentes équipes a ensuite été commentée par les autres équipes et par un panel d’experts. Après la session, les participants ont continué à travailler de façon autonome jusqu’à ce qu’ils aient réussi à passer le test de performance.

Vente automobile. L’objectif de cette formation était de fournir aux vendeurs les éléments essentiels concernant de nouveaux modèles de voitures.

Dans un premier temps, le concepteur pédagogique a rassemblé toute la documentation existante, depuis les brochures de présentation sur papier glacé jusqu’aux manuels techniques très arides.

Ces documents ont été expédiés à chaque participant avec une note (légèrement teintée d’humour) leur demandant de se plonger avec diligence dans le contenu de cette documentation sous peine d’une possible humiliation publique pendant la formation.

Lors de la formation, l’animateur a d’abord réparti les participants en équipes, puis leur a demandé de préparer une série de questions fermées – c’est-à-dire n’ayant qu’une seule réponse possible – (comme « Quels équipements sont inclus dans la version de base ? ») et des questions ouvertes (comme « Quels avantages mettriez-vous en avant pour la mère d’un footballeur en herbe intéressée par l’achat d’un monospace ? »).

Le formateur a mélangé ces questions avec d’autres préparées par des experts, et les a utilisées sous forme de différents quiz.

Management d’équipe. L’objectif de cette formation était d’améliorer les compétences des managers dans une société multinationale high-tech. Cette mission a duré environ quatre mois. La conception de la formation et sa mise en œuvre ont eu lieu simultanément.

Cette formation a utilisé une série de jeux par courriel. Pour participer à ces jeux par courriel, les participants étaient encouragés à tirer parti de leur expérience professionnelle, et à utiliser différents types de ressources : livres, vidéos, sites Internet, etc.

Cela leur a pris de 30 à 45 minutes chaque jour. Ils devaient répondre dans les 48 heures.

À travers les différents jeux par courriel, les participants ont identifié les caractéristiques essentielles des managers efficaces, puis ont défini les composantes clés de ces caractéristiques essentielles, tout en mettant au clair les dangers potentiels qui y sont associés. Ils ont élaboré des stratégies de mise en pratique.

Plus tard, d’autres jeux par courriel ont permis aux participants de partager entre eux les problèmes rencontrés dans la mise en pratique réelle, de rechercher des solutions alternatives, d’évaluer les forces et les limites de ces alternatives, pour finalement trouver de meilleures solutions.

Le contenu généré par le premier groupe de participants a été réutilisé avec les groupes suivants. Cependant, tous les participants étaient tenus de créer et de soumettre leurs propres réponses et leurs propres solutions avant de prendre connaissance de ce qui avait été élaboré par les groupes précédents.

Principe de base

Le principe essentiel que l’on retrouve dans toute notre démarche de création ou de reformatage selon le principe Faster, Cheaper, Better (et contrairement à la manière habituelle de concevoir une formation), c’est l’accent que nous mettons sur les activités et non sur le contenu. Nous pensons qu’un programme de formation efficace devrait englober les éléments suivants : des activités, des éléments comportementaux et du contenu. Nous pensons également que ces éléments doivent être cohérents les uns avec les autres, afin d’éviter d’enseigner une chose, de tester autre chose, tout en faisant comprendre : « Ne faites pas ce que je fais. Faites ce que je dis ! »

Dans la manière classique de concevoir une formation, on commence par fixer l’objectif, puis on analyse ce qui doit être acquis et on le découpe en éléments séparés pour les faire entrer dans une succession de diapositives PowerPoint.

Notre approche Faster, Cheaper, Better commence également par la détermination de l’objectif. Puis nous traduisons aussitôt cet objectif en un test de performance. De la sorte, nous identifions les activités d’apprentissage appropriées qui vont aider les participants à maîtriser les compétences et les concepts, et nous leur permettons ainsi de réussir ce test de performance. Nous ne créons pas notre propre contenu : nous intégrons le contenu existant dans différentes activités d’apprentissage bien choisies.

Autres principes complémentaires

Voici quelques principes complémentaires que nous avons mis en évidence lors de nos conceptions de formation. Et il est probable que, dans quelques années, nous justifierons l’emploi de ces principes en nous appuyant sur les sciences cognitives, le management de la connaissance ou la théorie de la complexité.

En nous fondant sur ces principes, nous pourrions écrire un ou deux livres, animer de temps en temps un atelier, et passer le reste du temps à nous bronzer sur une plage bordée de cocotiers. Mais, dans un véritable esprit de collaboration, nous vous proposons ci-dessous une liste de principes pour vous aider à concevoir vos propres formations.

1. Acceptez le fait que vous ne produirez jamais la version finale d’un programme de formation. Mais, plutôt, mettez-le à jour en permanence, améliorez en continu ses éléments et les outils pédagogiques que vous y utilisez.

2. Évitez de découper en tranches le contenu, il perdrait son sens global.

3. Ne confondez pas « comprendre » ou « savoir en parler » avec la capacité à appliquer et à mettre effectivement en œuvre. Concentrez-vous sur la capacité à mettre en œuvre.

4. Développez des fiches de tâches, puis entraînez les participants à utiliser ces fiches.

5. Ne perdez pas de temps à proposer aux participants des activités hors sujet censées être amusantes. Au lieu de cela, concentrez-vous sur la conception et l’utilisation d’activités interactives pertinentes qui impliquent les participants.

6. Incorporez dans les futures versions de la formation le contenu généré par les participants de la formation présente.

7. Augmentez la motivation des participants en veillant à ce que tout ce qui est enseigné soit utilisable dans leur travail.

8. Proposez au formateur de devenir co-concepteur de la formation.

9. Déterminez où l’on peut trouver le contenu existant, sous ses différentes formes, et intégrez-le dans les activités de formation.

10. Faites en sorte que la session de formation traite d’aussi près que possible des problèmes que les participants rencontrent dans leur travail.

11. Motivez les participants en mélangeant coopération et compétition.

12. Présentez les éléments de contenu sous une forme brute, et demandez aux participants d’organiser ce contenu de manière pertinente.

13. Demandez aux participants de travailler en équipe et faites en sorte qu’ils apprennent les uns des autres.

14. Pour concevoir de nouvelles formations, réutilisez des structures de formation qui ont fait la preuve de leur efficacité.

15. Choisissez et utilisez des types d’activités interactives qui correspondent au type de contenu à transmettre et aux objectifs.

16. Transmettez aux participants une part significative de responsabilité dans la conception et le déroulement de la formation.

17. Traitez toute évaluation de la formation comme une évaluation formative, c’est-à-dire donnant des indications pour améliorer cette formation.