Le piège du contenu
Lorsqu’ils créent une formation, nombre de formateurs tombent dans le piège du contenu, et perdent beaucoup de temps pour finalement obtenir un piètre résultat : les formations basées uniquement sur le contenu s’avèrent le plus souvent d’une faible efficacité.
Les formateurs sont souvent encouragés à tomber dans ce piège du contenu par leurs clients, par les experts en la matière ou par les concepteurs pédagogiques. Toutes ces personnes entretiennent l’idée que l’efficacité d’une formation réside dans l’analyse, l’organisation et la présentation du contenu aux participants, avec le présupposé que cela leur permettra de tout comprendre et de tout mémoriser.
Et les stagiaires tombent également dans le piège du contenu, avec cette croyance enracinée qu’il y a une corrélation directe entre ce que vous savez et la manière dont vous l’appliquerez dans la vie réelle. Ils croient aussi qu’il n’y a qu’un – et un seul – ensemble spécifique de contenu qui garantisse des performances parfaites dans leur travail.
Un exemple tragique de formation ratée
Voici comment ces formateurs conçoivent une formation. Ils prennent un sujet, par exemple le leadership. Ils lisent de nombreux livres et consultent plusieurs spécialistes en la matière. Ils entrent alors dans un état de confusion avancée, et commencent à se perdre au milieu des théories, des styles, des modèles, des principes, des approches du leadership.
Pour s’en sortir, ils décident alors de placer toute leur confiance dans le dernier best-seller ou le dernier gourou à la mode. Ils analysent et organisent ensuite le contenu en utilisant le principe du BLM (Be Like Me), principe qui postule que si le contenu est clair pour le concepteur de la formation, il doit forcément être clair pour n’importe qui.
Ils produisent ensuite joyeusement des centaines de diapositives PowerPoint, des graphiques, des documents, des glossaires. Et, en fin de compte, la transmission de ces éléments de contenu devient le but de la formation.
Ces formateurs vont maintenant présenter ce contenu : conférence, documents, manuels, PowerPoint avec tournage automatique des pages. S’ils sont consciencieux, ils s’assurent que les participants ont tout compris et peuvent mémoriser les faits, la terminologie, les étapes des procédures, les principes, etc. Ils font croire également aux participants que lorsqu’ils auront maîtrisé (et mémorisé) telle ou telle partie de contenu, ils seront en mesure de l’appliquer parfaitement dans leur travail.
Après la formation, chacun s’aperçoit que rien n’est vraiment applicable et transférable dans son travail. Les participants se rappellent parfaitement les cinq étapes de leadership pour communiquer leur vision et les sept composantes que requiert cette vision. Mais ils sont incapables d’appliquer cette connaissance théorique aux exigences de la réalité.
Alors, ces formateurs (aidés et encouragés par les experts en la matière) réunissent à nouveau les participants et leur fournissent encore plus de contenu. Ils expliquent les sous-détails de chaque étape, complètent avec des listes de comportements à éviter. Ils subdivisent les sept composantes de la vision du leadership, et génèrent quarante-sept sous-composantes.
Ce type de formation de rattrapage ne fonctionne pas. Toutes ces présentations de contenu sont à des années-lumière des réalités que vivent les participants au quotidien.
La pratique et le feed-back
Il faut rappeler une évidence : avoir des connaissances et mémoriser du contenu n’améliore pas automatiquement les performances. Ce qui est essentiel, c’est la pratique et le feed-back. Et pour proposer cela à des apprenants, il faut les faire participer à des activités de formation qui reflètent le contexte du monde réel, nécessitent l’application du contenu et fournissent un feed-back constructif.
Cela signifie-t-il que nous devons supprimer toute présentation de contenu et laisser les participants apprendre uniquement à partir d’activités ? Non, bien entendu. Nous suggérons de fournir aux participants un contenu qui soit intégré dans des activités de formation.
Voici trois manières de présenter du contenu dans un contexte approprié :
- fournir la quantité minimale de contenu essentiel à connaître avant l’activité de formation ;
- fournir du contenu complémentaire au fur et à mesure des besoins, par du coaching, des fiches ou des éléments spécifiques au cours de l’activité de formation ;
- permettre le partage de connaissances supplémentaires, des bonnes pratiques et des applications possibles lors du débriefing après l’activité de formation.
Quand le contenu est essentiel
Comment faire lorsque la compétence professionnelle est directement liée à la compréhension et à la mémorisation du contenu ? Par exemple, les vendeurs doivent connaître les caractéristiques de leurs produits sur le bout des doigts. Les chargés de communication doivent mémoriser les derniers éléments clés de leur entreprise, et être capables de citer des chiffres, des statistiques et de nombreux autres éléments tenus à jour en permanence afin de pouvoir répondre à toutes les questions qui pourraient leur être posées.
Il est clair que, dans ce genre de cas, il est absolument nécessaire de posséder des connaissances approfondies et bien assimilées, et qu’il faut former ces professionnels à cela.
Pourtant, le conseil que je donnerai pour ce type de situation est le même : mettre l’accent sur les activités de formation, pas sur le contenu.
Le contenu existe déjà quelque part sous une forme ou une autre. Il s’agit alors de créer une activité adaptée qui nécessite des participants qu’ils interagissent avec le contenu là où il se trouve, leur permettant de le maîtriser à un excellent niveau de compréhension et d’être capable de l’utiliser d’une manière plus large.
Différentes activités pour différentes sources de contenu
Lorsqu’il s’agit de concevoir des activités, les formateurs font souvent l’une de ces deux erreurs :
• ils utilisent deux ou trois jeux connus (comme le Monopoly ou le Trivial Pursuit) pour tout enseigner à tout le monde ;
• ils considèrent que la conception de jeux de formation est complexe, demande trop de temps – et, rapidement, abandonnent l’idée d’en utiliser.
Pourtant, différents modèles de jeux de formation (comme les jeux-cadres) permettent de concevoir rapidement des activités de formation parfaitement efficaces.
Brève description de modèles de jeux en fonction de la source du contenu
- Si le contenu est disponible dans des livres, des articles, des documents et d’autres sources imprimées, utilisez des jeux « Lisez-moi » (ou « jeux Textra ») pour créer vos activités de formation. Ces jeux combinent une utilisation active des documents avec la motivation et le plaisir que crée l’emploi de jeux. Dans ces jeux, les participants lisent le document, puis mémorisent et transfèrent ce qu’ils ont appris grâce à la dynamique du jeu.
- Si le contenu est disponible sous forme de fiches de tâches, utilisez des jeux de mise en application. Pour ces activités, les participants doivent utiliser la fiche de tâches pour résoudre des problèmes réels, au sein de groupes (pour tirer parti de la dynamique de travailler en équipe). La taille de ces groupes diminue progressivement jusqu’à ce que chacun des participants soit en mesure d’utiliser de façon indépendante la fiche de tâches.
- Si le contenu est disponible sous forme d’enregistrement audio ou vidéo, utilisez des jeux spécifiques qui permettent de tirer parti au mieux et d’une manière active de ce contenu enregistré. Dans ce type d’activités, les participants regardent une vidéo (ou écoutent un enregistrement audio) puis participent à différents jeux qui leur facilitent la compréhension de l’enregistrement et les aident à appliquer les nouveaux concepts et les nouvelles compétences acquises.
- Si le contenu est principalement composé d’informations dispersées (dans différents documents, sur différents supports, sur Internet, etc.), ne perdez pas votre temps à les mettre en forme. Utilisez plutôt des activités dans lesquelles les participants, individuellement et en équipes, vont traiter l’information, l’organiser, la regrouper et éventuellement l’appliquer à des cas particuliers. Ce type d’activité permet aux participants de construire des catégories significatives à partir d’éléments isolés, et ainsi de mieux intégrer ce contenu.
- Si l’on pense que les participants (ou certains participants) possèdent déjà une partie du contenu, du fait de leur expertise ou de leur expérience, on peut alors utiliser des activités structurées permettant l’apprentissage mutuel entre les participants. Des activités de ce type permettent un riche dialogue entre les participants, sur la base de leurs expériences, de leurs connaissances et de leurs opinions.
- Si le contenu n’existe que dans le crâne d’un expert en la matière, utilisez des jeux-conférences1 (ou conférences interactives). Ces activités vont impliquer directement les participants dans le processus d’apprentissage, tout en laissant un contrôle complet à l’expert. Les jeux-conférences permettent ainsi de transformer facilement et rapidement une présentation passive (telle que l’utilisation d’un PowerPoint) en une présentation interactive. Différents types de jeux-conférences pourront faciliter chez les participants la réflexion, l’échange d’idées, la recherche d’exemples ou de questions, la vérification de la mémorisation, etc.
- Si le contenu est disponible en ligne, utilisez des activités adaptées. Dans ce type particulier d’apprentissage par la recherche, les participants vont recueillir des informations sur le Web en se concentrant sur l’utilisation du contenu plutôt que sur la simple récupération d’idées. Ces activités exigent des participants d’analyser, de synthétiser et d’évaluer le contenu.
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L’idée toute simple derrière ces activités de formation est que les participants apprennent, mémorisent et appliquent mieux le contenu s’ils interagissent avec lui et s’ils interagissent entre eux.
Pourtant, la plupart des formateurs considèrent que « dire, c’est transmettre ». C’est une erreur fondamentale. On apprend plus efficacement en participant activement à des activités plutôt qu’en absorbant passivement du contenu.
1 Voir Modèles de jeux de formation, op. cit., partie 2.