Trois affirmations

Récemment, je me suis rendu compte que je pouvais condenser mon approche à base de stratégies interactives en trois brèves affirmations :

1. Tout ce qui peut s’enseigner (de quelque manière que ce soit) peut s’enseigner avec des jeux de formation.

2. Des stratégies permettent de concevoir rapidement des jeux de formation et à moindre coût.

3. Les jeux de formation impliquent les apprenants dans leur apprentissage et produisent des résultats positifs.

Voyons cela d’un peu plus près.

La première affirmation

Prenons d’abord la première affirmation :

Tout ce qui peut s’enseigner (de quelque manière que ce soit) peut s’enseigner avec des jeux de formation.

Une objection

Beaucoup de gens ne sont pas d’accord avec cette affirmation, et disent aussitôt : « Mais vous ne pouvez pas enseigner mon sujet en utilisant un jeu. C’est un sujet beaucoup trop important/sérieux/technique/compliqué… »

Cette objection a pour origine la confusion que l’on fait couramment entre le « jeu » et les « activités ludiques », qui, elles, n’ont aucun but pratique (excepté le divertissement). Si l’on accepte une définition plus large du mot « jeu », en tant qu’activité interactive structurée, cette objection ne tient plus. À Édimbourg, par exemple, j’ai animé un jour un atelier en utilisant un jeu. Cet atelier traitait de la mort et de l’accompagnement des mourants. Il s’agissait d’une visualisation guidée, conduisant les participants à ressentir une profonde tristesse et à prendre conscience de leurs valeurs fondamentales et de leurs croyances. J’ai utilisé plusieurs autres jeux pour traiter de sujets graves. Aucun d’entre eux n’était amusant, et tous ont permis une grande participation des participants. Les war games – un autre exemple – sont un moyen d’explorer les stratégies permettant de mettre en œuvre des principes et des procédures qui n’ont rien de ludique.

Autre objection

« Dans ma société/mon service, les gens sont différents. Ils n’aiment pas jouer. »

J’ai animé des jeux de formation avec des personnes de cultures différentes, partout dans le monde. J’ai joué à des jeux de formation avec des enfants et des adultes, avec des ouvriers et des P-DG de grandes sociétés. Je peux affirmer par expérience que tant que l’on aborde les participants avec respect et qu’on leur propose un jeu qui répond à leurs besoins, il y a rarement des résistances.

Bien entendu, il ne s’agit pas de violer des normes culturelles, et nous devons parfois faire certains ajustements, y compris de langage (comme ne pas appeler « jeu » l’activité proposée), afin de pouvoir utiliser un jeu efficacement, quel que soit le groupe.

Encore une autre objection

« Nous n’avons pas le temps de jouer. Nous avons un trop lourd programme à couvrir. »

Cette objection reflète la confusion entre la présentation de l’information et le fait d’atteindre les objectifs de formation. C’est ce que souligne mon ami Harold Stolovitch dans le titre de son best-seller, Talking is not Training (« Parler n’est pas former »). Si nous n’avons pas le temps de proposer des occasions de mettre en pratique ce qui a été appris, nous pouvons facilement être remplacés par un enregistrement vidéo. Mais sans « activation », il n’y a pas de réel apprentissage.

Encore une autre objection

« Concevoir un jeu de formation prend beaucoup de temps et est très onéreux. Les gens n’apprennent rien d’utile à partir de jeux, ils passent juste un bon moment. »

Ces objections sont reliées à la deuxième et à la troisième affirmation.

Continuons d’approfondir ces différents points.

La deuxième affirmation

Parlons maintenant de ma deuxième affirmation :

Des stratégies permettent de concevoir rapidement des jeux de formation et à moindre coût.

Beaucoup de gens sont réticents à l’idée de concevoir des jeux de formation parce qu’ils s’imaginent que cela prend beaucoup de temps, et que cela nécessite des compétences réservées à quelques rares individus « créatifs ».

Bonne nouvelle : il existe des stratégies qui permettent à n’importe qui de concevoir des jeux de formation rapidement et à moindre coût. (C’est peut-être une mauvaise nouvelle pour ces personnes-là, car elles n’auront plus d’excuses pour ne pas concevoir de jeux de formation.)

La conception d’une bonne formation demande la fourniture de contenu et des activités de mise en œuvre. Les approches classiques de la conception pédagogique consacrent beaucoup de temps à l’analyse, à l’organisation, à la réécriture et à la présentation du contenu de la formation. La conception d’activités pour mettre en œuvre ce contenu vient généralement ensuite, après coup. Si nous acceptons le fait que le contenu de la formation est disponible quelque part, sous une forme ou sous une autre, nous pouvons éviter de perdre du temps à faire un travail superflu et nous concentrer sur la conception d’activités basées sur le contenu existant. En fonction de la source du contenu, nous pourrons utiliser le type d’activité interactive le plus approprié (jeux-conférences, jeux à partir d’une vidéo, jeu nécessitant une recherche sur Internet, jeux tirant parti de l’expérience des participants, etc.).

Mon approche de la conception de formations implique l’utilisation fréquente de modèles de jeux (comme dans les jeux-cadres) qui permettent d’intégrer facilement son propre contenu de formation à l’intérieur de règles. Le choix de ces modèles dépend de la forme du contenu (document, vidéo, expérimentation, etc.) ainsi que du type d’apprentissage : des faits, des concepts, des principes, des procédures ou des comportements. Dans le choix du modèle de jeu, nous tenons également compte des différentes étapes d’un apprentissage, telles que l’introduction, la découverte et l’exploration, l’analyse ou la synthèse, l’application ou la mémorisation. En utilisant ces modèles, nous gagnons énormément de temps.

L’approche classique de la conception pédagogique implique également la présence d’un expert, qui partage son expertise avec les concepteurs pédagogiques, qui eux-mêmes développent les programmes de formation à l’intention des formateurs, qui finalement animent la formation avec des stagiaires.

Mon approche de la conception de matériel pédagogique utilise la technique de co-conception, dans laquelle l’expert, le concepteur pédagogique, le formateur et les apprenants travaillent tous ensemble. Nous allons même plus loin : nous demandons aux apprenants de jouer les autres rôles, ce qui nous fait économiser un temps considérable en conception. Pour donner un exemple simple, nous pouvons diviser le contenu de la formation en deux parties équivalentes, attribuer chaque partie à une équipe de participants et leur demander de faire des recherches pour approfondir cette partie afin de l’enseigner aux autres.

L’approche traditionnelle de la conception pédagogique suit le plus souvent une démarche linéaire : analyse, spécification des objectifs, conception de la formation, évaluation, révision et mise en œuvre. Mon approche de la conception de jeux de formation intègre toutes ces étapes. Par exemple, j’analyse un contenu et je conçois un jeu tout en le proposant à un groupe de participants, selon le principe Build the airplane while flying it (« Construisons l’avion tout en le faisant voler »). Et je fais en sorte également d’évaluer et de revoir le jeu dans la même session. Cette approche intégrée fait gagner beaucoup de temps lors du processus de conception.

Une conception plus rapide d’une formation est également moins onéreuse, car, après tout, le temps, c’est de l’argent, et si nous gagnons du temps, nous réduisons le coût.

Une grande partie du coût de la conception pédagogique vient de l’analyse, de la mise en forme et de la présentation du contenu. En utilisant des contenus déjà existants et en les intégrant dans les activités de formation, nous réduisons ainsi facilement le coût de la conception pédagogique.

Un autre coût important dans la conception pédagogique vient de la création de matériels spécifiques inutiles. Nous pouvons réduire considérablement les coûts en utilisant uniquement des activités papier/crayon pour les activités en présentiel, ou des activités en ligne via des courriels ou des outils d’e-learning.

La troisième affirmation

Cette approche plus rapide et moins coûteuse de concevoir des formations, détaillée ci-dessus, va avoir un résultat surprenant, que je résume dans ma troisième affirmation :

Les jeux de formation impliquent les apprenants dans leur apprentissage et produisent des résultats positifs.

Habituellement, les gens croient que la qualité d’un produit est directement liée au temps et à l’argent qui ont été nécessaires pour le réaliser. Quand il s’agit de conception de formations, mon expérience me fait dire que le contraire est vrai. Les formations conçues dans un processus « plus rapide » et « moins cher » ont de bien meilleurs résultats que celles développées avec de gros budgets et de généreux délais. Et cela pour plusieurs raisons.

La nécessité d’augmenter en efficacité

La raison de cette contradiction apparente devient rapidement claire quand on en fait l’analyse : lorsque nous avons des ressources limitées pour atteindre un objectif donné, nous apprenons à augmenter notre efficacité. Et lorsque vous creusez un peu plus cette logique, vous vous rendez compte que ce type d’efficacité forcée favorise l’apprentissage.

Un transfert de la responsabilité

Lorsque nous avons des ressources limitées et puisque nous ne pouvons pas apprendre à la place des autres, nous allons transférer une partie de la responsabilité de l’apprentissage aux apprenants. Pour rendre les apprenants plus responsables, notre rôle va être de leur apporter des ressources et de les aider à interagir avec le contenu de ces ressources.

L’accent mis sur l’apprentissage actif

Quand nous réduisons l’importance de coûteuses ressources externes dans le développement et l’animation d’une formation, nous poussons les apprenants à prendre un rôle plus actif dans le processus d’apprentissage. De nombreuses études ont clairement prouvé l’efficacité des stratégies actives d’apprentissage.

Un apprentissage collaboratif

Lorsque nous avons des ressources limitées, nous devons demander aux apprenants de s’entraider. Il en résulte un apprentissage collaboratif, qui est une technique très efficace pour augmenter la qualité d’un apprentissage.

Un apprentissage contextualisé

Un manque de ressources financières nous encourage également à éviter de créer des formations hors contexte, éloignées des besoins réels des apprenants dans leur environnement de travail. Il a également été montré qu’un apprentissage bien contextualisé donne de meilleurs résultats.

Un processus qui engage plus l’apprenant

Un processus d’apprentissage actif engage le participant dans sa démarche d’apprentissage. L’apprentissage en collaboration pousse mutuellement les participants à mieux s’impliquer, ce qui permet de tirer le meilleur de chacun au profit du groupe.

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Avec ces trois affirmations, je ne prétends pas que les stratégies interactives de formation vont vous permettre de résoudre tous vos problèmes de formation. Et ces stratégies ne sont pas non plus forcément faciles à mettre en œuvre, lorsque l’on a appris depuis toujours à utiliser une démarche fondée uniquement sur la transmission top-down d’un contenu. Mais il me semble utile de prendre conscience de ces trois affirmations – même si elles ont leurs limites. Et si vous les partagez, vous trouverez bien le moyen de les appliquer dans votre travail…